Voici le troisième opus que Joseph Balkoski a consacré au débarquement et à la bataille de Normandie. J’avais énormément apprécié les deux ouvrages précédents de cet auteur déjà édités par les éditions Histoire & Collections:
Bref, j’attendais ce troisième tome comme une gourmandise !
Evidemment, je n’ai pas été déçu même si j’ai trouvé les Allemands moins présents que dans les opus précédents.
Le fait marquant, selon moi, reste quand même la mise en valeur de la décision de Montgomery d’étendre le plan d’invasion initial du Cossac à deux plages supplémentaires (et deux divisions supplémentaires): Utah Beach et Sword Beach. En sus de cela, il semble bien être aussi à l’origine de la mise au sol massives des trois divisions aéroportées chargées d’empêcher la montée en ligne de renforts allemands. On est loin du « Montgomery bashing » habituel, ce qui est d’autant plus appréciable que cela vient d’un auteur américain de talent !
En fait, Balkoski met en valeur que le volet « Utah Beach » était essentiel pour conquérir rapidement Cherbourg, port en eaux profondes et en cela il est important d’évaluer cette opération en liant l’assaut amphibie au largage des aéroportés des 101st et 82nd Airborne. Alors qu’Omaha « la sanglante » est toujours citée comme l’assaut de référence du D-Day;Joe Balkoski réhabilite largement l’attaque sur le Cotentin y compris en la décrivant comme bien autre chose qu’une « promenade de santé » si on intègre les pertes des aéroportés. Joseph Balkoski décrit magnifiquement d’ailleurs l’importance des 4 chaussées de sortie des plages.
Bien évidemment, la qualité de l’édition est encore au rendez-vous avec de nombreuses cartes tactiques, des photos, des ordres de bataille, annexes, bibliographie et index. On regrettera que l’édition française ne comporte pas les nombreuses notes de l’édition originale.
Pour être clair, si le D-Day et la bataille de Normandie vous intéressent, vous devez posséder ces trois ouvrages dans votre bibliothèque…
Utah Beach, 6 juin 1944. De Joseph Balkoski. 394 pages. Editions Histoire & Collections en août 2015.
Monsieur,
Vous écrivez : « Le fait marquant, selon moi, reste quand même la mise en valeur de la décision de Montgomery d’étendre le plan d’invasion initial du Cossac à deux plages supplémentaires (et deux divisions supplémentaires): Utah Beach et Sword Beach »
Permettez-moi d’être plus nuancé en citant un passage tiré du livre de Carlo D’Este : »Histoire du débarquement » (Tempus)
« Morgan et ses collègues n’entretenaient aucune illusion sur les défauts du plan ou sur la taille de la force de débarquement. Ils savaient qu’elle était bien trop petite. Mais les directives qu’ils avaient reçues ne leur laissaient aucune latitude. On avait demandé au COSSAC de prévoir un assaut basé sur le nombre de barges de débarquement disponibles, lequel autorisait une attaque d’au maximum 3 divisions. » (p.47)
« L’une des premières démarches d’Eisenhower en tant que commandant suprême fut de convoquer Montgomery à son QG, à Alger, pour discuter le plan d’ensemble du COSSAC. Montgomery arriva le 27 décembre et rencontra l’après-midi même Eisenhower et Bedell Smith à l’hôtel Saint-Georges. Si, avant cette réunion, Montgomery n’avait pas eu vent du plan d’invasion proposé, Eisenhower avait déjà été mis au fait d’Overlord et avait reçu, en octobre, une copie du plan de la part d’un général américain appartement à l’état-major du COSSAC, que ce même organisme avait envoyé à Alger dans l’unique but de connaître sa réaction. Plus tard, Eisenhower devait évoquer ce que fut alors sa réponse [1] : « J’estimai que, si le plan faisait apparemment le meilleur usage possible du matériel dont on pourrait disposer à la date butoir envisagée [1 mai 1944], son idée générale reposait sur des effectifs trop faibles et sur une ligne de front trop réduite, à partir du moment où le but recherché était une concentration de troupes rapide et massive destinée à percer le plus tôt possible la ligne de défense de l’ennemi. J’avais demandé à Bedell Smith d’être à mes côtés durant cette séance de travail et nous décidâmes à l’impromptu qu’une attaque menée par 5 divisions serait préférable. » [2]
Aux yeux d’Eisenhower, une attaque avec 3 divisions était d’une faiblesse irrémédiable, et il dit au général Chambers que, si c’était son opération, il insisterait pour qu’elle soit élargie à 5 divisions, avec 2 autres divisions embarquées servant de réserve. « Je ne me doutais absolument pas à l’époque que ce serait mon opération et je donnai mon opinion sans m’interroger sur la valeur que pourraient bien avoir aux yeux des planificateurs du COSSAC les leçons que nous avions tirées de notre expérience africaine [3]. » […]
Lors de la réunion avec Montgomery, Eisenhower fit brièvement le point sur ses doutes concernant la taille de la force d’assaut proposée et il chargea Montgomery de faire connaître son sentiment aux planificateurs à Londres, en ajoutant qu’il était prêt, pour permettre la mise sur pied d’une force convenable, à accepter un délai d’un mois pour les débarquements. Eisenhower aussi bien que Smith, dans les souvenirs dont ils ont fait état chacun de leur côté, sont parfaitement clairs : il y eut unanimité pour demander un élargissement de l’opération. Voici la version de Smith : « Nous étions tous unanimes. Sur la question de savoir s’il fallait élargir la base de l’attaque, on peut même dire que l’augmentation du nombre de divisions fut acceptée par acclamation. Freddy Morgan voulait davantage, mais il dut travailler avec ce qu’il avait [5]. » Dans ses Mémoires, Montgomery donne une version entièrement différente, affirmant seulement qu’Eisenhower lui avait dit « qu’il n’avait qu’une idée sommaire de plan et que ça ne paraissait pas très bon [6]. »
[…]
Le jour suivant, un bref rapport de Monty fut transmis à Churchill. Monty y critiquait le plan, tout en prenant soin de préciser qu’il n’en avait eu aucune connaissance jusque-là. Lorsqu’il affirme : « aujourd’hui, 1er janvier 1944, c’est la première fois que j’ai été mis en présence du plan proposé et que j’ai eu l’occasion de me pencher d’une manière ou d’une autre sur le problème [8] », c’est, dans le meilleur des cas, une erreur. Il n’y a aucun doute à cet égard : le plan avait été discuté d’une manière assez approfondie avec Eisenhower et Smith à Alger, et le rapport de Monty à Churchill ne fait aucune référence aux doutes qui furent alors exprimés, laissant ainsi la fausse impression que Montgomery avait été le premier à suggérer un renforcement de l’opération. Comme son comportement ultérieur à Londres et les récits qu’il fit après la guerre le montrent bien, c’est effectivement à lui-même et à lui seul qu’il attribua tout le mérite de la révision du plan. Même s’il est vrai que Montgomery fut le principal architecte des changements qui devaient suivre, le mérite d’avoir repéré les défauts du plan et réclamé des modifications doit revenir à égalité aux trois hommes. » (p.75 à 78)
N’ayant pas lu le livre de Balkoski, je ne peux pas me faire une idée de la teneur exacte de ses écrits. Mais j’ai remarqué dans certains blog de critiques disant que seule Monty était l’unique artisan du passage de 3 à 5 divisions. Ce qui est absolument faux si l’on se réfère au passage que je cite. Sauf à dire qu’Eisenhower et Bedell Smith sont des menteurs et pas Montgomery (pourtant ses Mémoires…)
Contrairement aux Américains qui acceptent les critiques dans leur histoire militaire, les Instances militaires anglaises préfèrent la censure ou le mensonge par omission.
Exemple, je lis le Patton de Farago et page 12 : »… les Américains peuvent être fiers, à juste titre, à la pensée que leur documentation mise aujourd’hui à la disposition du grand public est à la fois la plus complète et la plus franche. E, écrivant son ouvrage, fort controversé, sur la Bataille de Rhénanie, l’historien anglais R.W. Thompson observa amèrement que « certains passages » de son livre avaient été supprimés par les autorités britanniques. »
En espérant que mon message ne soit pas supprimé comme ce fut le cas sur un autre blog parce que j’avais osé pointer sur l’inexactitude des propos de l’auteur sur sa critique du livre de D’Este.
Bien historiquement à vous
Bonjour Louis,
Pour commencer par la fin, je n’ai aucun problème avec votre publication. Je ne suis définitivement pas décidé à me prendre la tête avec qui que ce soit avec ce qui relève pour moi d’une passion et d’un hobby: l’histoire militaire ! 😉
Sur le sujet évoqué, j’y suis sûrement allé fort en utilisant le mot « décision » dans une phrase bien courte sur une question « si sensible » 😉 . Balkoski pointe d’ailleurs que les concepteurs du plan initial le savaient trop limité mais qu’il y avait des contingences matérielles qui empêchaient la mise au sol de 5 divisions d’assaut et 3 aéroportées en même temps. Qui plus est, le Cossac n’avait pas le poids pour imposer un changement aussi majeur. Assurément les idées ont dû faire leur chemin dans plus d’une tête quant aux conditions de succès d’un plan d’invasion de l’Europe de l’ouest. Ce que je retiens de Balkoski c’est que la prise en charge des forces d’invasion par le général Montgomery voit arriver un chef qui a, qui plus est, l’écoute du pouvoir politique, Churchill en l’occurence. Ça ajoute sacrément du poids pour impacter la décision finale. Quand bien même le Britannique n’est pas le seul à y avoir pensé, il va mettre toute son énergie pour convaincre de l’intérêt d’élargir à 5 plages et d’utiliser les aéroportés dans une manoeuvre d’ « encerclement vertical ». Je pense que là, Montgomery est plus dans la « décision » que dans « l’idée ». Qu’en grand « cabotin » qu’il est dans la construction de sa légende, il ait voulu tirer la couverture à lui, quoi d’étonnant (et de naturel). Les hommes sont les hommes ! Ma réaction portait plus sur l »image régulière qu’on associe à Montgomery d’un général de peu de talents et surtout bien timoré. Son rôle dans le plan d’Overlord et dans l’opération « Market Garden » rendent les choses moins simples.
Louis, lisez les ouvrages de Joseph Balkoski, vous ne le regretterez pas. Pour ma part, je n’ai pas encore lu celui de Carlo d’Este mais il est à moins de deux mètres de moi. J’y penserai prochainement !
Bonne fin de journée.
J’ai acheté les 2 premiers livres de Balkoski, en août, mais pas encore lu. Et c’est grâce à votre blog, donc à vous, que j’ai fait « sa connaissance » et je vous en remercie.
Vous ne serez pas déçu du livre de D’Este dont le titre en français ne correspond pas à l’objet principal du livre. J’ai même envoyé un mail aux éditions Tempus à ce sujet mais je n’ai pas obtenu de réponse…
Contrairement à Beevor, les notes de D’Este ne sont pas que de simples références mais elles sont très complémentaires du texte principal.
Quand Monty fut choisi comme chef des opérations pour Overlord, il fallait bien que les politiques le soutiennent. Or Montgomery n’était pas, au départ, le premier sur la liste, mais bien Alexander qui avait la préférence d’Eisenhower et de Churchill jusqu’à ce que celui-ci constate comment Monty s’occupa de la 8è armée en Afrique du Nord. C’est Alan Brook, le chef de l’état-major impérial, qui préféra Monty à Alexander.
Que l’on tire la couverture à soi, certes, mais pas au détriment de la vérité historique. Pour moi ce sont les faits qui importent, rien que les faits puis essayer de comprendre ce qui a motivé ses faits et enfin en tirer une conclusion si possible.
Bonnes lectures
Hum, vous avez un souci avec Montgomery ? 😉
Pour ce qui est des mémoires des grands hommes d’histoire, je prends toujours, pour ma part, un grand plaisir à les lire et à les relire. Il y a là l’histoire par ceux qui l’ont vécu mais aussi toute l’expression de la vanité humaine ! Et en la matière mes préférés sont Napoléon 1er, le maréchal Marmont… et Montgomery ! 😉