Jean-Dominique Merchet est journaliste à Libération et animateur d’un blog bien connu « Secret Défense » http://secretdefense.blogs.liberation.fr/ consacré au monde de affaires militaires essentiellement en France.
Il nous livre ici son deuxième ouvrage qui est consacré à l’engagement français en Afghanistan.
L’ouvrage comporte trois parties distinctes:
- la première est consacrée à l’embuscade d’Uzbin au cours de laquelle 10 soldats français perdront la vie, été 2008,
- la seconde est consacrée à la géographie et à l’histoire de l’Afghanistan
- la troisième est l’engagement de la France en Afghanistan
En fait, plutôt qu’un ouvrage cohérent, je reprocherai à Jean-Dominique Merchet cette approche « articles successifs » qui n’ont pas tous la même profondeur d’analyse. En conséquence, mon commentaire portera sur les trois parties de l’ouvrage. Je m’adapte.
La première partie, l’embuscade d’Uzbin
Elle est vraiment très bonne tant dans la description de l’opération que dans l’analyse des causes et dans la critique, mesurée, du traitement médiatique par l’armée, le pouvoir politique et les médias. J’avais suivi de près cette actualité sur le blog « Secret Défense », je retrouve là les principales analyses de qualité publiées à l’époque. Merchet est un journaliste qui est certes critique mais qui aime nos forces armées. Plutôt rare de nos jours et en passant j’envoie un salut amical à Yves Debay, dinosaure d’une race en voie de disparition: le reporter de guerre.
La seconde partie consacrée à la géographie et à l’histoire de l’Afghanistan
Elle est également de bien belle facture. S’appuyant sur l’expertise de chercheurs de talent, Merchet nous restitue un contexte afghan si particulier où la géographie, les ethnies, la religion et les voisinages jouent des rôles déterminants. Mention spéciale à l’analyse de la période soviétique qui ne fut effectivement pas celle qu’on avait l’habitude de vilipender et de ridiculiser à l’époque en Occident. Guerre froide obligeant…
La troisième partie est la critique de l’engagement français au « pays de l’insolence ».
C’est la partie qui, pour moi, est la plus délicate. En fait, tout était déjà contenu dans le titre et le sous titre de l’ouvrage: Mourir pour l’Afghanistan. Pourquoi nos soldats tombent-ils là-bas ? Merchet est pour le retrait pur et simple de nos troupes de ce théâtre d’opérations extérieures. Son argumentation n’est pas dénuée d’arguments ni de bon sens: les talibans ne sont pas des djihadistes exportateurs de violence, la France et les afghans n’ont pas d’objets de litige, nous n’avons pas de motivation particulière dans ce pays… C’est vrai. Ces réflexions sur les conditions qui amènent une guérilla non pas à gagner mais à perdurer (particulièrement l’impossibilité de faire une zone frontière pakistanaise qui n’est en rien une frontière car elle sépare des ethnies pachtounes peu désireuses de se séparer et pour cause) sont vraies. Il ne reste donc plus que l’argument des droits de l’homme (et de la femme) et la stabilité du monde comme arguments dignes de ce nom mais à quel prix financier et humain ? La conclusion s’imposerait donc: il faut partir et c’est la conclusion pour Merchet.
Le fait est que, si j’applique les mêmes réflexions, à l’engagement des troupes françaises au Tchad/Darfour, en Côte d’Ivoire, au Kosovo et au Sud Liban, j’en arrive aux mêmes conclusions. Donc renfermons nous dans nos frontières hexagonales ?
Que nos motivations soient justes ou non: pétrole (pour l’Irak), humanitaire, droits de l’hommisme, fixation des combattants du djihad loin de nos métropoles et de leurs banlieues,…; il s’agit de se poser la vraie question sur la capacité des occidentaux à gagner des guerres asymétriques inégales par essence, de longue durée par définition et en y mettant quels moyens. Depuis le déclenchement des opérations d’Afghanistan et d’Irak, cale fait maintenant 8 années que les occidentaux ont (re) découvert les guerres asymétriques faites d’embuscades, d’attentats et maintenant d’IED. Nos alliés anglo-saxons (Etats-Unis, Grande Bretagne, Australie, Nouvelle Zélande, Canada,…) ont développé leur expérience dans le domaine et la stratégie, la doctrine et les tactiques déployées, avec succès, par le Général Petraeus en Irak vont désormais être mises en oeuvre en Afghanistan. Il est clair que la France a pris du retard en la matière et que les moyens financiers et matériels restent en deçà de notre volonté d’engagement.
Avant de prêcher la retraite voire la débâcle dans le contexte de pertes inhérentes à la guerre, laissons à nos forces armées le temps de démontrer s’il est possible de gagner sur le terrain. Car les guerres asymétriques se gagnent, cela a déjà été suffisamment démontré par le passé… Tout est question d’objectifs clairs, de stratégie dynamique et de volonté ferme mais le temps manque souvent aux démocraties.
Ce qui m’inquiète par dessus tout c’est le manque de lien armée-nation et le traitement médiatique, catastrophique, de l’embuscade d’Uzbin par les médias français MAIS AUSSI, par le pouvoir et les partis politiques . Cela renouvelle chez moi cette réflexion des combattants de 14-18: « Pourvu qu’à l’arrière, ils tiennent… »
Pour pousser la réflexion sur les guerres asymétriques, je vous renvoie bien volontiers à deux excellents ouvrages – français – publiés récemment: Les armées du chaos de Michel Goya et La guerre probable de Vincent Desportes parues aux éditions Economica que je salue à cette occasion pour leur exceptionnelle ligne d’édition sur ces sujets.
Pour conclure ce long commentaire, je vous recommande, sans restriction, la lecture de cet ouvrage qui reste celui de l’un de nos meilleurs journalistes dédiés à la « chose militaire ». Continue, « gars Merchet », tu fais du bon boulot.