Je viens de recevoir des éditions Economica le dernier opus de la collection « Campagnes & Stratégies » dirigée par Philippe Ricalens et qui est consacré à cette question intéressante.
Il s’agit des actes d’un colloque qui s’est tenu début 2010 sous l’égide de la CFHM ( (Commission française d’histoire militaire).
Ce genre d’ouvrage n’est pas systématiquement intéressant mais celui-ci retient toute mon attention.
D’abord par la qualité des 18 intervenants au colloque parmi lesquels je peux citer Paul Gaujac, Patrick Facon, Claude Huan, Henri de Wailly, Philippe Richardot, Jacques Belle, pour ceux que je connais le mieux.
Ensuite, par l’ensemble des questions auxquelles le colloque voulait répondre:
- fallait-il poursuivre la lutte coûte que coûte, ou conclure un armistice, ou capituler ?
- l’armée française pouvait-elle encore se battre en métropole, ou devait-elle et pouvait-elle le faire à partir des terres françaises d’outre-mer ?
- Où étaient l’honneur et le salut de la Patrie ?
L’ouvrage est construit en cinq bonnes parties équilibrées:
- l’état des forces
- la demande d’armistice
- la poursuite de la guerre
- ce qu’il en pensaient (partie qui concerne l’avis de personnages historiques importants sur la convention du 22 juin 1040)
- ce qui s’écrit aujourd’hui: 6 ouvrages essentiels commentés ainsi qu’une bibliographie générale
Bref, pour résumer, un ouvrage indispensable pour ceux qui s’intéressent à la défaite française de 1940.
234 pages aux éditions Economica , 2011.
Bonjour,
Je vous propose quelques commentaires complémentaires qui nuancent quelque peu la bonne impression générale de cet ouvrage.
Si l’approche semble cohérente et est plutôt bien menée ce qui est loin d’être toujours le cas dans ces recueils prompts à n’être qu’un inventaire d’interventions décousues, à bien y regarder, on se rend compte que les intervenants se focalisent sur le contexte militaire oubliant que l’armistice a d’abord été un acte politique voulu par Pétain, 1er pas du renversement de la 3e République et de la création d’un nouveau régime plus conforme à ses valeurs. Pour Pétain, l’armistice était une étape indispensable pour « refonder » la France.
Or de Pétain, il n’est guère question dans cet ouvrage. On ne dit rien ou presque de ses actes. Il manque un intervenant de la trempe d’un Jean Pierre Azéma, spécialiste de l’Histoire politique, pour aborder cette question incontournable et malheureusement contournée. Tout juste note-t-on page 205 que la nécessité de l’armistice a peut-être « procuré un alibi à ceux qui ont ensuite commis la faute parce qu’ils avaient d’autres objectifs -plus ou moins inavoués – que la survie immédiate du pays ? ».
Le deuxième point faible de l’ouvrage est un corollaire inévitable des ouvrages collectifs, les interventions sont inégales en intérêt et en pertinence. A côté des historiens qui cherchent à comprendre et expliquer, on trouve des intervenants plus partisans comme Bernard Legoux qui défend la thèse de l’armistice indispensable.
Je n’ai pu résister à l’envie de commencer par lire sa prose dont les critiques à la sortie de son livre avaient été incendiaires. Il est clair qu’il défend une thèse éculée avec des arguments éculés (pour justifier l’armistice il cite des auteurs des années 60 aujourd’hui discrédités ou des contemporains tels… Pétain, Weygand et Darlan eux-mêmes !!!) : pour résumer l’armistice a permis de sauver la flotte, d’empêcher les Allemands d’envahir l’Espagne et conquérir l’Afrique du Nord… il ne va pas jusqu’à dire que cela a évité une victoire finale allemande mais on finit par y penser. L’armistice a aussi protégé les populations françaises d’une oppression allemande dont il estime qu’elle aurait été comparable à l’occupation allemande dans les pays slaves, protégé les prisonniers de guerre et même sauvé les Juifs. Bref Pétain s’est sacrifié pour servir de bouclier pour les Français, pour les Juifs et pour les alliés… rien de moins !!! J’ajoute que, selon lui, en juin 40, l’effort de guerre français est paralysé par des vagues d’attentats communistes, attentats dont l’existence est niée par tous les historiens depuis trente ans hormis de rares cas totalement anecdotiques (en fait je n’en ai qu’un en tête).
A noter que de manière subtile, une critique de son ouvrage « l’armistice était indispensable » figure dans la 5e partie et permet de remettre les pendules à l’heure en mettant en évidence le caractère partisan de son propos et les limites de sa démonstration : « s’il poursuit la lecture, l’amateur de vérité historique se trouve vite devant une alternative : soit sourire en découvrant que les premiers résistants furent les membres de la délégation française à Rethondes, soit éprouver perplexité et inquiétude » et de conclure « ne dressons pas à Bernard Legoux le procès en escroquerie intellectuelle qu’il rêve d’intenter à de Gaulle : il avait prévenu d’emblée n’être pas historien de profession. L’ouvrage est conforme : il n’y a nulle tromperie… » On peut quand même se questionner alors de l’utilité de lui ouvrir de nombreuses pages qui auraient pu être mieux utilisées avec un « vrai » historien.
Heureusement à côté de Legoux on retrouve des articles bien plus solides comme ceux de Claude Huan ou de Facon. Et l’ouvrage mérite pour eux un détour.
Au final, le livre vaut-il ses trente euros ? Relativement convainquant quant aux études des capacités de la France à poursuivre la guerre en AFN, il l’est moins dans son analyses des faits ayant mené à l’armistice.
Cordialement
Nicolas