Sur un sujet toujours brûlant.
La sortie du film « L’ennemi intime » de Florent Emilio Siri consacré à la guerre d’Algérie m’avait amené à relire l’ouvrage éponyme de Patrick Rotman sorti en 2002.
Avant tout, Patrick Rotman n’est ni historien, ni combattant de l’époque. Mais il va nous parler d’histoire.
De fait, l’ouvrage de Patrick Rotman est un assemblage de témoignages. Témoignages d’acteurs majeurs, d’engagés et surtout d’appelés du contingent. Son sujet central est clairement la torture durant la Guerre d’Algérie, ses origines, l’engrenage de son développement, sa justification à tous les niveaux de l’engagement des militaires français.
L’intérêt principal de l’ouvrage est d’essayer de comprendre le « comment en est-on arrivé à pratiquer la torture au niveau de l’individu » et « comment vit-on avec cela 40 ans après les événements ? ».
Pour le reste, Patrick Rotman passe à côté du sujet historique en ne situant pas le problème dans sa perspective historique, dans toute sa perspective, en se concentrant sur une vingtaine de témoignages. Dommage, le sujet mérite mieux : contexte de la guerre d’Algérie, comment en est on arriver là, les faits avérés, les responsabilités engagées, les séquelles pour les victimes et pour les tortionnaires, pouvait on faire autrement ?
A se concentrer sur les témoignages personnels, l’auteur minore le cycle qui amène les violences à se superposer l’une à l’autre : l’engrenage de la guerre révolutionnaire.
Car le vrai enjeu est bien de faire basculer la population vers un camp ou l’autre. Et la volonté de gagner les cœurs se transforme vite en une pratique de la terreur. Et aux égorgements et autres traitements horribles sur les représentants traditionnels de la population et les soldats français répondent vite la recherche du renseignement pour détruire l’insurrection et la peur des appelés qui se répercute dans ses interactions avec les populations. Les militaires français n’ont pas échappé au terrible engrenage, pouvaient ils faire autrement ? Fallait-il faire autrement ? L’historien n’a pas de réponse évidente. Car, de facto , c’est admettre qu’il fallait, devant une guerre révolutionnaire et sans combattre, abandonner l’Algérie.
Au final, la torture a-t-elle fait perdre la guerre d’Algérie ? Pourquoi pas ? Mais si elle a fait perdre un camp, la terreur a contribué à faire gagner l’autre camp. Et c’est là une autre faiblesse de l’ouvrage : ne pas faire parler l’autre camp. Les acteurs algériens du MNA et du FLN, la population soumise au cycle de la terreur. Pourquoi seulement faire parler les acteurs du camp français : un harki, quelques pieds-noirs, quelques engagés et beaucoup d’appelés ?
Alors, la torture en Algérie, une réalité ? De fait, une évidence. Une évidence condamnable ? Sans conteste ! Mais pour l’histoire mais aussi la morale, il reste toujours à écrire un ouvrage historique sur le sujet.
Et pour conclure, je ne peux que conseiller l’excellent et subtil film de Pierre Schoendorffer consacré au sujet : « Pour l’honneur d’un capitaine ».