Bartolomé Bennassar est un historien reconnu de l’Espagne. J’avais commenté précédemment son excellente biographie du général Franco. Il s’est associé dans cet ouvrage édité en 1989 à son épouse Lucile pour nous livrer une enquête passionnante sur le sort des chrétiens en terre d’Islam au XVIème et au XVIIème siècle.

Pour ce faire, Bartolomé Bennassar va s’appuyer largement sur les sources de l’Inquisition chargée d’instruire et de statuer sur le retour des européens revenus en pays chrétien.

De fait, il s’agit à la fois d’une histoire:

  • de la guerre de course livrée par chrétiens et barbaresques en Méditerranée et dans l’Atlantique,
  • des événements à l’origine de la capture de chrétiens en mer et sur les côtes,
  • des conditions de vie et de conversion à l’Islam tant en Afrique du Nord qu’à Constantinople
  • ainsi que du contexte et des motivations du retour en Chrétienté.

L’ouvrage démarre sur la narration de six parcours exemplaires et il faut bien reconnaître que l’aventure est au rendez-vous.

L’ouvrage se poursuit par une analyse de l’origine géographique des captifs chrétiens: de l’Europe du sud, bien évidemment, à la Scandinavie et à l’Europe Centrale.

Les chemins qui menèrent à l’Islam furent pluriels: la capture en mer, les razzias le long des côtes et sur les îles, les faits de guerre, les désertions et le choix volontaire.
On se rend compte également du traitement particulier réservé aux enfants: rarement rendus au cours des rescates, convertis d’office et intégrés rapidement aux familles et à la vie sociale en terre d’Islam. On est d’ailleurs impressionné par le parcours souvent brillant de ces jeunes « immigrés de force » dans la société d’Alger, de Tunis, Marrakech, Salé ou même à Constantinople.

Tout au long de l’ouvrage, Bartolomé Bennassar piste les conditions des conversions à l’Islam et des reniements à la Croix. N’oubliant pas qu’il travaille à partir des sources inquisitoriales, il cherche à déterminer, derrière les mots, les motivations réelles de ces renégats pris entre Chrétienté et Islam. Car si le retour n’est pas facile ni parfois volontaire, les renégats vont devoir s’expliquer avec une justice précise, efficace et qui sait prendre son temps. D’ailleurs, on est surpris de l’utilisation très modérée de la torture et le recours systématique aux témoignages parfois lointains, de vrais enquêtes policières !

L’ouvrage s’achève sur un très beau chapitre intitulé: « rêve turc » et nostalgie chrétienne. On se rend compte que rien n’est simple dans ces destins humains. Si les rapports de l’Inquisition reportent les faits et motivations de chrétiens revenus d’Islam, les retours s’expliquent par la volonté de retrouver les siens, la nostalgie ou la Foi. Pour d’autres, le retour fut contraint et la réinsertion dans la société chrétienne se fit dans des conditions peu enviables: la chiourme sur les galères chrétiennes, les monastères, voire la mort pour les relaps et les non repentis…
Bartolomé Bennassar démontre de belle façon que les conditions d’intégration dans la société musulmane furent souvent vécues avec bonheur: vie sexuelle,mariages, accès à des postes à responsabilité dans la course, les armées, l’administration voire le pouvoir politique comme les célèbres renégats grecs: les Barberousse !

Pour résumer, un ouvrage remarquable à lire sur cette période de l’histoire commune de la Chrétienté et de l’Islam !

Aux éditions Perrin en 2001. 493 pages.

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