Plongée au sein des filières de fuite de l’Europe par les nazis.
Je ne connais pas l’auteur, Gerald Steinacher, dont c’est le premier ouvrage traduit en français.
« Les nazis en fuite » est le résultat de ses travaux de recherche universitaire consacrés aux crimes de guerre durant la seconde guerre mondiale. Il s’agit incontestablement d’un travail en profondeur appuyé par des notes abondantes et une bibliographie très dense.
L’auteur expose par le détail les lignes de fuite, les différentes étapes, les pays d’exfiltration, le rôle central joué par le Tyrol du sud (province germanophone devenue italienne durant l’entre deux-guerres) mais aussi par des organisations humanitaires ou étatiques: CICR (Croix Rouge), l’Eglise Romaine et le Vatican, les services de renseignements occidentaux et en particulier américains. Il appuie ses démonstrations sur des exemples connus (Eichmann, Mengele, Priebke, Barbie, Rudel, Nicolussi-Leck) mais aussi sur de nombreux cas moins connus.
Je suis sorti de cet ouvrage avec quelques certitudes:
- L’immédiat après-guerre se caractérise par des millions de réfugiés: populations déplacées par les combats, prisonniers de guerre, personnes déplacées et apatrides postérieurement à la guerre. Beaucoup rentrèrent dans leur pays d’origine quoique le début de la guerre froide freina les ardeurs pour ce qui est des pays de l’est. Au milieu de ces flux aux volumes impressionnants, certains décidèrent de tenter leur vie vers d’autres cieux: Amérique du Nord, Amérique Centrale et du Sud, Proche-Orient. Les états sur lesquels stationnaient et transitaient ces réfugiés souhaitant résoudre le problème au plus vite, les précédures de contrôle furent allégées et, de manière surprenante, souvent confiées à des structures non étatiques comme le CICR en Italie par exemple.
- Le début de la guerre froide fit changer le prisme de lecture d’instances comme le Vatican ou les nations anglo-saxonnes quant aux nazis et aux criminels de guerre: la lutte contre le communisme l’emporta largement sur la punition des crimes de guerres et les facteurs moraux. De même, les nations qui n’avaient pas vécu la guerre, comme les pays d’Amérique du Sud, virent l’opportunité de capter des personnels et techniciens pour le commerce, les industries et leurs forces armées. Les services de renseignement, quant à eux, virent l’intérêt de collaborer avec des réseaux expérimentés en termes de renseignement et contre-renseignement, particulièrement en Allemagne, en Europe Centrale ou du Sud. Bref, les ennemis d’hier devenaient plus fréquentables, leur anti-communisme étant patent.
- Enfin, il y eut aussi la propension des nations à passer à autre chose, à oublier la guerre face aux enjeux de la reconstruction ou de la guerre froide. L’auteur met particulièrement en lumière ce besoin d’oubli jusqu’à une période récente où les facteurs moraux ont repris le dessus mais bien trop tard pour aller rechercher des acteurs décédés entretemps pour la plupart.
Bref, aux impératifs moraux se substitua rapidement une approche pragmatique du problème: lutte contre le communisme, réseaux de renseignement, acquisition de savoir-faire et de technologies (on se souvient de Werner von Braun à la NASA).
Au final, cet ouvrage est parfait pour faire le point sur un sujet plutôt méconnu et parfois romancé comme avec le « dossier Odessa« . J’ai cependant une critique majeure: la lecture du texte m’a été particulièrement pénible, j’ai trouvé que l’ouvrage manquait de construction claire avec des redondances régulières sur des poins déjà abordés, une approche très « micro » pour argumenter sur des thèses générales, un manque de données chiffrées, de contextualisation. En fait, c’est la conclusion que je trouve finalement le plus fluide.
Il eut été intéressant également de croiser plus clairement le sujet avec les efforts faits par les nations et les peuples qui avaient subi l’invasion et la répression nazie pour retrouver et condamner les criminels de guerre (on se souvient particulièrement de la traque d’Adolf Eichmann par le Mossad israélien largement médiatisée).
Les nazis sont en fuite. Gerald Steinacher. Aux éditions Perrin en février 2015. 462 pages. Avec notes abondantes, bibliographie et index.