Et d’un ! Après la lecture des mémoires du maréchal Montgomery, il s’agissait de s’attaquer aux deux ouvrages que des auteurs français lui ont consacré tout récemment.
Mon choix s’est porté d’abord sur l’ouvrage de Cédric Mas et Daniel Feldmann, ces deux auteurs m’étant plus connus; je les retrouve en effet régulièrement sur la blogosphère consacrée à l’histoire militaire. 😉 De plus, j’avais apprécié leur précédent travail consacré au maréchal Rommel, le vis-à-vis de Montgomery lors de la guerre du Désert.
Tout d’abord, parlons d’abord de ce que cet ouvrage n’est pas. Tout comme pour leur « Rommel », cet ouvrage n’est pas une vraie biographie; le format de la collection (moins de deux cent pages) ne permet pas le travail exhaustif qu’on peut attendre d’un biographe, rarement à moins de 400/500 pages. C’est sûr qu’après le format des mémoires du maréchal (près de 600 pages), on peut trouver ça léger !
Mais non ! Sincèrement l’essentiel y est, je trouve qu’on a bien là de quoi comprendre la carrière de ce personnage hors-norme avec les points saillants suivants:
- une analyse fine des opérations dans lesquelles Montgomery eut un impact décisif ou moteur: la guerre du Désert est la plus brillament exposée d’ailleurs. C’est clair que les Mémoires du maréchal pèchaient de ce côté là.
- une conceptualisation intelligente de sa méthode que les auteurs qualifie de « systémique ». Pour Montgomery, il s’agit de gagner une bataille, une campagne ou la guerre avec rigueur, du fort au fort, en usant l’adversaire par des frappes successives et variées à la manière, bien anglaise, d’épuiser les lignes adverses dans un match de rugby. Chez Montgomery, pas de fioriture, pas de coup de patte de génie, de la méthode, des moyens pour gagner tout en économisant ses propres moyens humains. D’où l’importance de la préparation et des délais. Il ne laisse rien au hasard… ou au génie des batailles ! ;-).
- pour lui tout se résume en un « master plan » qui doit être exécuté à la lettre par des subordonnés qu’il a sélectionné et instruit de ses méthodes. Il leur délégue pleinement l’exécution avec parfois les risques induits d’ailleurs.
- on retrouve bien dans l’ouvrage son appétence pour l’instruction et ses travers nombreux particulièrement ses critiques incessantes de ses pairs et de ses supérieurs,
Franchement, pour tout ça, ne ratez pas cet ouvrage, il vaut franchement le coup ! Mais c’est là aussi où j’en reste sur ma faim car ces points auraient mérité un traitement beaucoup plus profond comme je l’avais déjà signalé sur le « Rommel » sorti précédemment. En fait, le format réduit implique d’être moins démonstratif et plus tranché dans les assertions et les points de vue des auteurs sans motiver par le détail leurs analyses comme ont pu le faire Jean Lopez et Lasha Okthmezuri dans l’excellente biographie de Joukov (pour rappel, plus de 700 pages).
J’ai également été gêné par des commentaires assénés ici ou là, particulièrement en ce qui concerne la sexualité du maréchal ou sa fin de carrière à la tête de l’état-major impérial britannique ou à l’OTAN. Pour ce qui est de la sexualité, c’est sûrement par son biographe « officiel », Nigel Hamilton (2.800 pages quand même), que s’est construite cette « légende » et encore postérieurement , semble-t-il, à l’édition de la biographie qu’il a consacrée à Mongomery. Bref, homosexuel, homo-sexuel refoulé ou attiré par les jeunes hommes et les jeunes garçons ? Pas très argumenté tout ça. En cherchant un peu, j’ai trouvé un article de « the Telegraph » sur le sujet. Lien. Si le sujet avait sa place dans une biographie, ça tombe ici à côté, selon moi. Concernant ses missions post-conflit mondial, j’ai ressenti plus une critique sur les méthodes et l’efficacité du maréchal que sur le bien fondé de son travail, sur ses propositions ou sur ses prises de position. J’aurais aimé en connaître plus sur ses analyses et la critique de celles ci, Montgomery le fait d’ailleurs lui-même dans ses mémoires. Sa méthode ne passe plus ? Normal, on n’est plus en guerre ! Et Montgomery est un homme de guerre en guerre. On peut d’ailleurs apprécier le parallèle avec le déclin de Winston Churchill, autre homme en guerre !
L’ouvrage se termine sur une bibliographie bien complète sur le sujet.
Au final, un ouvrage, intéressant, pénétrant sur l’art de la guerre de Montgomery. Mais trop court, trop synthétique et parfois abrupt pour en faire une biographie de référence (mais je ne lirai jamais les 2.800 pages, en anglais, d’Hamilton !).
Au final, un ouvrage vivement conseillé dans toute bonne bibliothèque consacré à l’histoire militaire !
Montgomery de Cédric Mas et Daniel Feldmann. Aux éditions Economica en mai 2014. Avec bibloographie et cartes utiles dans le texte.
Ici un des auteurs…
Cette critique bienvenue laisse un curieux sentiment, surtout venant d’un bloggeur qui vient de lire les Mémoires de Montgomery. Le livre fait très attention à ne pas prendre pour argent comptant ni la version de l’histoire qu’écrit Montgomery ni celles des biographies en anglais. Systématiquement, nous recherchons des sources alternatives pour recouper, confirmer ou corriger les versions précédentes.
On se serait attendu, Jean-Luc, à ce que ce point ressorte en évidence: le texte questionne sainement les sources et les témoignages. Et cela est frappant sur la période d’après-guerre, beaucoup moins connue ou documentée que les campagnes militaires elles-mêmes. Or on lit ici que cette description de l’après guerre est « plus une critique sur les méthodes et l’efficacité du maréchal que sur le bien fondé de son travail ».
=> je me demande bien sur quel élément concret est basée cette assertion… Le texte n’eclipse pas le font au profit de la forme. Sont par exemple décrits la reconstruction de l’Allemagne en 1945-46 ou le concept d’armée que Montgomery veut mettre en place en 1946-48, ou encore le décalage des recommandations de Monty avec la réalité de la décolonisation…
En fait, la gêne semble être que la biographie ne raconte pas toujours la même chose que les Mémoires. Alors qu’on se serait attendu, à l’opposé, à ce que tu reconnaisses que la qualité de la biographie est _justement_ qu’elle apporte davantage que les Mémoires.
Chic, un auteur blogueur anonyme ! 😉
Avant de relever mes critiques « à la marge », relève la satisfaction que m’a donné la lecture de cet ouvrage, Daniel !
Je parle de « légende » car tu n’étayes en rien ces points qui ne sont pas l’objet du livre. En fait, on s’en fout dans un ouvrage centré sur l’histoire militaire. Dans une biographie, ça manque(rait ?) d’arguments, de mon point de vue, évidemment !
Quant à ton attaque sur: « Le blogueur nous parle de « légende » (qu’en sait-il?), et on ne peut que se demander s’il n’est pas lui-même gêné que le thème soit abordé… »; ben elle me fait le même effet que tes commentaires sur les auteurs ou les personnages historiques que tu commentes de ci de là…
Bref, comme le dit la formule consacré: « on ne passera pas nos vacances ensemble… » et C’EST PAS GRAVE !
« DF », je pense que la signature parle d’elle-même 🙂
DF ? Ah oui ? A 4h00 du mat, suis pas bien réveillé…
Et j’en connais plein de DF ! 😉
Ben pour le sourcing, il est grand – je le signale en évoquant la bibliographie. Mais le sourcing est général par chapitre, sur les sujets à question, il eut été intéressant de sourcer précisément ces points quand ils surviennent, comme le fait usuellement tout biographe historien de formation.
POur ce qui est de la référence aux Mémoires de Montgomery, j’aurais apprécié , comme expliqué, quelque chose de plus étayé sur la critique justement de ces Mémoires. Bref je préfère en celà le travail fait par la paire Lopez/Okthemzuri sur Joukov ou par Rémy Porte sur Sarrail. Chacun ses goûts !
J’insiste: dans ma « critique », vois le verre à moitié plein plutôt qu’à moitié vide* ! Ne sois pas le « lapin aveuglé par les phares » ! 😉
* Je précise: « plein aux quatre cinquième » !
Les sources ont en effet été regroupées. Notre éditeur nous a fait remarqué que notre premier manuscrit comportait trop de notes de bas de page: nous en avons supprimé… 300. (C’est-à-dire environ 2 par page!). Ces notes supprimées sont les sources détaillées.
Le lecteur ne peut le deviner, bien sûr.
Mais… mais je pense que si une source en particulier t’intéresse, il suffit que tu demandes pour que l’on te retrouve la référence la plus précise.
Pas facile la vie des auteurs avec les éditeurs ! Maintenant que tu es de l’autre côté de la barrière, tu le sais mieux !
Mais c’est dommage quand l’éditeur présente l’ouvrage comme une biographie en 4ème de couv’. Je comprends la contrainte mais c’est vraiment dommage quand on veut aller plus loin.
Je retiens ta proposition mais je pense qu’après l’ouvrage d’Antoine Capet, je vais probablement passer à autre chose que Montgomery ! J’aurais fait cet investissemet temps aussi un peu pour vous, guys ! 😉
« POur ce qui est de la référence aux Mémoires de Montgomery, j’aurais apprécié , comme expliqué, quelque chose de plus étayé sur la critique justement de ces Mémoires. »
Eh beh… Je pensais pourtant que le chapitre 13 était un long développement d’historiographie.
Mais peut-être attendais-tu une évaluation point par point des Mémoires, un tri « ceci est exact, ceci contestable, ceci complètement faux »…? Et cela n’est pas dans notre livre. Nous ne faisons pas une fiche de lecture des Mémoires mais une biographie du personnage : la rédaction et la publication des Mémoires sont un événement de la fin de vie de Monty, donc surtout évoqués à la fin de la vie de Monty.
Oups ! Là, tu as raison. Je n’ai pas mis en avant le chapitre 13 qui est TRES INTERESSANT (mes excuses d’autant plus que je trouvais que ça manquait dans votre « Rommel »). Bon, « long développement » sur 6,5 pages, n’exagères-tu pas un peu quand même ? 😉 Mais c’est un vrai plus aussi !
Je suis tout aussi surpris, dans cette note, de l’importance donnée aux éventuels penchants homosexuels de Montgomery. Cet aspect, bien connu et souligné déjà depuis 40 ans (en premier chez Chalfont, paru en 1976 quelques semaines avant la mort de Monty), n’est évoqué que dans le livre que sur un paragraphe, mais fait ici l’objet d’une attention démesurée.
Le blogueur nous parle de « légende » (qu’en sait-il?), et on ne peut que se demander s’il n’est pas lui-même gêné que le thème soit abordé…
Le livre présente les choses en se collant le plus près des faits: à savoir que plusieurs de ceux qui le rencontrent se demandent s’il n’a pas un côté homosexuel refoulé. Juste cela: que plusieurs « ont eu la sensation que ». Je me demande ce qu’il y a gênant là-dedans. Je me demande d’ailleurs ce qu’il y aurait de gênant si Montgomery avait en effet été gay…
[PS: Nigel Hamilton est le biographe officiel sans guillemets autour de ‘officiel’: c’est le fils de Montgomery qui lui a demandé de l’être et lui a donné accès, bien avant leur dépôt à l’IWM, à l’intégralité des archives personnelles de Montgomery]
[…] avec Cédric Mas. J’avais trouvé trop synthétiques les deux précédents consacrés à Montgomery et à Rommel, toujours avec Cédric […]