Les missions au Rwanda ne passent toujours pas…
Coup de gueule du général Didier Tauzin dans un ouvrage dont le sous-titre est: « Je demande justice pour la France et ses soldats. »
Didier Tauzin était chef de corps du 1er RPIMA (1er régiment parachutiste d’infanterie de marine) lors de la période décisive ayant précédé le génocide rwandais ainsi que durant l’opération « Turquoise » visant à protéger les populations le long de la frontière congolaise durant cette terrible année 1994.
Dans cet ouvrage, le général Tauzin nous livre, en soldat et en officier, à la fois son récit des événements mais aussi ses états d’âme depuis les attaques répétées du gouvernement de Paul Kagame, au pouvoir à Kigali, et de quelques rares journalistes de la presse écrite française principalement.
J’ai découvert assez récemment l’ « affaire rwandaise » au travers de l’enquête remarquable menée par Pierre Péan dans « Noires fureurs, blancs menteurs » aux éditions Mille et une nuits en 2005.
J’ai plus tard poursuivi la lecture sur le sujet au travers des témoignages de deux officiers supérieurs français:
- Opération Turquoise par le général Lafourcade chez Perrin en 2010
- Les larmes de l’honneur: 60 jours dans la tourmente du Rwanda du colonel Hogard
J’ai également prévu de compléter ces lectures par le dernier Pierre Péan qui visiblement a poussé ses enquêtes plus loin dans un ouvrage plus récent: Carnages, les guerres secrètes des grandes puissances en Afrique chez Fayard en 2010.
A noter la préface de Jean-Dominique Merchet de Marianne bien connu pour son excellent blog « Secret Défense », des cartes dans le texte ainsi qu’en annexe, le communiqué, daté de 2008, du Ministère de la Justice rwandais sur le rôle de la France dans le génocide. La lecture de ce document rend assez édifiante la thèse du gouvernement de Kagame. Le ridicule ne tue pas mais il salit…
Pour ma part, désormais mon opinion est faite:
- la France a fourni une assistance militaire au gouvernement élu du Rwanda jusqu’aux événements de 1994
- elle a contribué à stopper les opérations du FPR de Kagame en provenance de l’Ouganda
- l’attentat contre les présidents hutus du Burundi et du Rwanda a déclenché le génocide, la responsabilité est clairement celle du FPR
- la communauté internationale, et particulièrement les forces de l’ONU, ont failli, comme toujours…
- l’Armée Française a réussi, avec l’opération Turquoise, une mission délicate d’interposition et de protection des populations civiles.
- sur la base du génocide rwandais, le régime minoritaire de Paul Kagame a magnifiquement manipulé l’opinion internationale pour désormais maintenir le régime d’une minorité tutsi sur la population majoritairement hutu du pays… Et nous ne sommes pas là de voir des élections libres dans ce pays…
- les politiques français sont incapables, à l’exception notable d’Alain Juppé, de soutenir les soldats, sous-officiers et officiers injustement calomniés par le pouvoir de Kigali et par quelques journalistes accrochés à une thèse bien ténue comme l’a déjà démontré à deux reprises Pierre Péan
Aux éditions Jacob-Duvernet en 2011.
Ma réaction sur l’interview du Général Didier TAUZIN par Muriel GREMILLET – La patience a ses limites !
N’en pouvant plus du mutisme des officiels français alors que leur pays est pointé du doigt dans le rapport MUCYO (2008), le général français Didier TAUZIN s’insurge contre cette atonie à laquelle on se serait plutôt le moins attendu au pays de Voltaire, Montesquieu, Diderot et autres.., champion de justice et des droits de l’homme. France, mais où est donc passé ton héritage du Siècle des Lumières ? Préfères-tu faire fi de ces valeurs devenues universelles grâce au combat glorieux de tes filles et fils, afin de mieux accorder les violons et les pianos au même diapason de la realpolitik actuelle ? Et pourtant elle semble si désordonnée, si cyniquement illogique, parfois même si invraisemblable sur le long terme, à tel point que ceux qui la subissent se demandent vers quoi et où exactement on les conduit !
Ce que le général Didier TAUZIN explique dans cette interview en rapport avec son livre qui vient d’être publié : « Rwanda, je demande justice pour la France et ses soldats », est très illustratif d’une situation de frustration qui n’en finit pas. La France est très visée dans ce rapport et plus particulièrement ses soldats ainsi que certains de ses politiciens. Tout le monde s’attendait à ce que ses officiels expriment leur indignation à propos du contenu de ce pamphlet dont les auteurs veulent faire croire qu’ils détiennent la vérité. Mais de quelle vérité puisse-t-il s’agir lorsque l’on sait qu’il n’y a jamais eu de vrai débat contradictoire, et que le mensonge et la fantaisie dans le recueil des données et témoignages de base ont été la ligne directrice de ceux qui l’ont confectionné ?
Le fait d’avoir été sur le terrain pendant ces années de guerre au Rwanda avant 1994, lui permet de saisir ses dessous politico-militaires, des stratégies des différents belligérants selon l’avancement des combats. Car à vrai dire, d’une certaine manière, beaucoup de pays tant africains qu’occidentaux y étaient impliqués. Le FPR de Kagame a eu un grand soutien politique, militaire et médiatique de la part de beaucoup de pays et même des Nations Unis surtout par l’intermédiaire de la MINUAR, et cela lui a beaucoup facilité la tâche ! Lorsque le général TAUZIN évoque la guerre psychologique que le FPR a menée (et gagnée) à l’intention de l’opinion internationale, en usant de la désinformation qui est très courante en temps dans ce genre de situations, beaucoup en savent quelque chose. Déjà au mois d’avril 1994, certains journalistes occidentaux disaient que le FPR avait pris Kigali, l’aéroport de Kanombe ainsi que quelques préfectures du sud du pays ! Et pourtant ils savaient que ce n’était pas du tout vrai. Mais ce qui était le plus choquant, c’était de voir comment ils applaudissaient le FPR comme s’ils assistaient à un vrai match de football, genre Olympique de Marseille à l’époque de Tigana // Dinamo Kiev au temps de Blokhin fin des années 80 ! Ainsi, ils couvraient sciemment ce mouvement rebelle dans ses tueries massives et systématiques au fur et à mesure qu’il avançait dans sa conquête du pouvoir.
Mais maintenant que les anciens proches de Monsieur KAGAME parlent eux-mêmes de ces tueries massives que leur armée a commises, qu’en disent ces mêmes journalistes ? Vont-ils oser dire qu’ils étaient sous l’emprise des méthodes très rusées d’usage du mensonge de la part du FPR ? Même si cela est très vrai, ils en ont fait de trop, car ils ont vu ces tueurs massacrer des milliers et des milliers de civils innocents, et ont affirmé que ce sont les INTERAHAMWE seulement qui en étaient les auteurs. Je ne voudrais pas juger qui que ce soit, peut-être qu’un jour ils feront leur mea culpa – un proverbe russe dit : « na ochiboks utchatsa » : les erreurs sont les meilleures leçons de la vie, ou alors préféreront-ils en rester là, car le ridicule ne tue pas, heureusement ! Après tout le journalisme n’est pas une science exacte !
Un autre point important sur lequel le général Didier TAUZIN revient, c’est l’existence de la milice du FPR ! Cette milice était composée très majoritairement (99 %) de jeunes tutsis qui étaient nés au Rwanda, qui y vivaient, y étudiaient ou y travaillaient en côtoyant leurs confrères hutus. Mais une fois que le FPR a ouvert le front, ils sont partis le rejoindre pour combattre ensemble. Certains y sont restés, d’autres sont revenus au Rwanda après avoir suivi des cours d’entraînement au combat, et ont repris leur vie au milieu de leurs confrères hutus. Bien entraînée par le FPR, elle constituait une armée de réserve, qui, le moment venu devait massacrer les civils hutus là où cela lui serait possible, et ce fut le cas ! Comment peut-on aussi qualifier les parents tutsis, qui ont fait consciemment sortir leurs enfants de l’école pour les envoyer au front afin de s’y entraîner en attendant que le jour « J » arrive, et que le travail commence ? Et ceux qui ramassaient des cotisations parmi la communauté tutsie du Rwanda et envoyaient des fonds au FPR, participant ainsi à l’effort de guerre de cette rébellion qui massacrait les innocents ? Alors, planification des massacres systématiques d’un groupe ethnique par les uns ou – et les autres ? Participation de qui exactement ? De quelle manière ? La vraie réponse ne devrait sortir que d’un vrai débat non biaisé comme ceux que Kigali aime organiser de façon très folklorique, genre rococo, à l’intention des bailleurs de fonds, comme si c’était avec eux qu’il devrait se réconcilier ! Si la France officielle préfère garder le silence face aux accusations et humiliations qu’elle subit de la part du régime de KAGAME, à tel point que ses soldats très offensés soient obligés de réagir à titre personnelle comme ce courageux général vient de le faire dans son livre, qu’elle laisse au moins les procédures judiciaires concernant les militaires du FPR commencer (17 ans après), car là c’est sûr, il y aura débat !
Marie Madeleine BICAMUMPAKA
@Marie-Madeleine: longue argumentation pour remettre, en effet, les choses en perspective. Dans ce genre de sujet, il faut toujours se méfier effectivement des thèses simples mises en avant. Merci d’être passée par ici.
Bonjour,
La lecture de cet ouvrage est en effet très instructive. J’ai d’ailleurs apparemment fait le même cheminement que vous, Jean-luc Synave, puisque j’ai commencé mes lectures il y a quelques années avec le premier livre de Pierre Péan sur ce sujet . Grâce à votre billet, je me suis d’ailleurs déjà plongé dans « Carnages, les guerres secrètes des grandes puissances en afrique ».
Je rebondis simplement sur le message précédent pour remarquer que Mme Bicamumpaka doit se méprendre avec un autre ouvrage quand elle parle des « milices FPR »… Le général Tauzin ne mentionne pas ce nom d’unité dans son ouvrage (que je termine à l’instant) et ne parle donc pas de son recrutement supposé. Il mentionne simplement des opérations de minage et des assassinats s’étendant jusque dans le sud du pays dès le début des années 90.
En tous cas bravo pour ce blog, que je trouve également très utile.
Cordialement,
Johann David
@Johann: merci pour ce complément d’information et pour le compliment !